Le CGLPL publie un rapport sur « les droits fondamentaux des personnes privées de liberté à l’épreuve de la crise sanitaire ».
Ce rapport constitue un compte-rendu de l’activité du CGLPL au cours de la période de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
Il présente les mesures prises par l’institution pour poursuivre son activité, le cadre international de la protection des droits fondamentaux des personnes privées de liberté dans le contexte de la pandémie ainsi qu’une analyse de la situation de chacune des catégories de lieux de privation de liberté français durant la période allant du 17 mars au 2 juin 2020.
Synthèse du rapport
La crise sanitaire liée au Covid-19 et les mesures de protection prises pour la contenir ont immédiatement été analysées comme porteuses de risques pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté : la promiscuité et le risque accru de contagion qu’elle entraîne, la difficulté de poursuivre les relations avec les proches, la suspension de l’essentiel des activités et l’aggravation de l’enfermement ont accru les contraintes pesant sur ces personnes.
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel la loi a confié la responsabilité de « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux », se devait de poursuivre sa mission en dépit des difficultés rencontrées pour visiter les établissements. Il a donc pris des mesures assez similaires à celles qu’ont adoptées l’ensemble de ses homologues européens pour demeurer au contact des personnes privées de liberté et de ceux qui les prennent en charge par des entretiens téléphoniques, l’analyse des courriers et des visites sur place.
Le CGLPL a par ailleurs maintenu une politique ambitieuse de contacts internationaux et de relations publiques pour relayer les recommandations faites par les organismes chargés de la protection des droits de l’homme et faire connaître sa propre analyse de la situation française, tant des pouvoirs publics que de l’opinion.
Il est évidemment difficile de trouver des caractéristiques communes aux mesures prises par des administrations distinctes pour traiter de la situation de personnes détenues, de patients hospitalisés en soins sans consentement, de personnes placées en zone d’attente et en rétention administrative ou de mineurs placés en centres éducatifs fermés. On peut néanmoins relever quelques traits communs aux situations observées dans ces lieux : des mesures de précaution en général tardives, contradictoires et longtemps insuffisantes, des mesures de réduction du nombre des personnes privées de liberté trop timides et inégales, une compensation insuffisante des contraintes liées au confinement. En contrepartie de ces constats, il convient néanmoins d’observer que partout la prévention a été efficace et que le nombre des contagions a été faible : le risque majeur de développement d’une épidémie dans la promiscuité des milieux clos et au sein d’une population que son état de santé rend souvent particulièrement vulnérable a été évité.
Dans tous les lieux, la garantie de respect des libertés qu’apporte le juge judicaire s’est trouvée estompée par la crise. La possibilité de prolonger les détentions provisoires de plein droit sans examen par le juge est la plus grave des atteintes portées aux droits des personnes privées de liberté ; elle est d’ailleurs d’autant plus grave qu’elle a été inscrite dans le droit et non, comme d‘autres, simplement subie en raison de la pression des circonstances. L’absence de présentation, même par visioconférence, devant le juge de l’application des peines, le juge des libertés et de la détention ou le juge des enfants comme les difficultés d’accès aux avocats ont également porté des atteintes graves aux droits des personnes privées de liberté.
La difficulté d’accès aux moyens de prévention (gel, gants et masques) et la confusion quant à leur nécessité ont été les mêmes que dans l’ensemble de la société, mais les personnes privées de liberté, ainsi que ceux qui les prennent en charge ont été parmi les derniers équipés. Ainsi, pour l’avenir, des plans de prévention des crises sanitaires spécifiques aux lieux de privation de liberté doivent être établis, comme ils le seront pour chacune des activités de la Nation.
Les facteurs d’isolement que la crise a suscité n’ont pas toujours pu être compensés par des mesures adaptées. Si des efforts ont été consentis pour autoriser les communications téléphoniques ou le lavage du linge au sein des lieux de privation de liberté, les bénéfices que l’ensemble de la société a pu tirer du numérique tant comme distraction que comme outil de service ou comme moyen de communication, se sont souvent arrêtés à la porte des lieux de privation de liberté. Des interdictions d’un autre âge dans les établissements pénitentiaires et des insuffisances techniques dans les établissements de santé mentale et les centres de rétention administrative ont interdit aux personnes privées de liberté de bénéficier de services numériques en rapport avec ceux dont dispose l’ensemble de la population. Les droit et les moyens techniques doivent être adaptés pour surmonter ces obstacles.
Les mesures prises durant le confinement doivent se terminer avec lui : l’adaptation à un mode dégradé de fonctionnement ne doit pas encourager de façon perverse sa pérennisation, notamment en ce qui concerne le télétravail ou le recours accru à des pratiques et relations distanciées. On ne peut en effet admettre que le souci de donner plus de latitude au fonctionnement de l’administration ou de la justice fasse perdurer des atteintes aux droits dont la nécessité, c’est-à-dire la légitimité, ne reposait que sur l’imminence du risque sanitaire et sur un caractère très provisoire. Les droits de la défense, la liberté d’aller et venir, les droits de visite doivent donc être immédiatement rétablis dans leur état antérieur.
Au-delà de ces considérations générales, des conclusions spécifiques peuvent être tirées pour chaque catégorie de lieu de privation de liberté.
Pour les établissements pénitentiaires, la crise aura été marquée par une baisse spectaculaire de la population pénale. Certes, il faut en voir les limites : les établissements les plus surpeuplés n’ont pas tous été concernés et les dispositions prises par ordonnance ont été trop timides, mais on doit constater, d’une part, que ce mouvement inédit a été possible et, d’autre part, que la réaction négative de l’opinion publique crainte par certains face à cette baisse massive de la population pénale ne s’est pas manifestée. C’est là le principal enseignement qu’il convient de tirer de cette crise : il est possible de ramener le taux d’occupation global des prisons françaises à leur capacité d’accueil, et même en dessous. Il est urgent que les mesures nécessaires pour éviter un retour à la situation antérieure et poursuivre l’effort de déflation carcérale soient prises : la régulation carcérale, que le CGLPL recommande avec insistance depuis 2014, doit être inscrite dans la loi.
Pour les établissements de santé mentale, à défaut de directives de portée nationale, la situation a été gérée sur le fondement de décisions locales avant qu’une concertation ne se mette en place autour des structures qui pilotent la psychiatrie au quotidien. Les droits des patients ont connu des restrictions, notamment en ce qui concerne leur liberté d’aller et venir, leurs relations familiales et surtout l’exercice de leurs droits : en effet, dans la plupart des cas, ils n’ont pu rencontrer ni le juge des libertés et de la détention, ni même leur avocat. Le CGLPL a été à deux reprises confronté à la question d’un enfermement abusif pour contraindre des patients au respect des règles du confinement : d’abord par une question posée par un comité d’éthique, ensuite par le constat de l’enfermement des patients quel que soit leur statut d’admission dans un autre établissement. Il a clairement condamné la pratique, en ce qu’elle constitue un détournement de procédure. Le constat effectué a, du reste, conduit à la publication de recommandations en urgence[1]. Dans un grand nombre d’établissements, le lien avec les patients a été maintenu par la prise en charge ambulatoire ou extra hospitalière. Le CGLPL souhaite qu’une fois la crise achevée, une prise en charge soignante plus ambulatoire et une réduction du nombre des procédures de contrainte perdurent.
Pour les centres de rétention administrative et les zones d’attente, malgré une activité très fortement réduite allant jusqu’à la mise en sommeil d’un grand nombre de ces lieux, les mesures de prévention de la contamination sont restées insuffisantes. Les personnes privées de liberté ont donc été placées en situation de risque sanitaire. L’entrée en France a été refusée pour motif sanitaire à des personnes qui n’ont pas été prises en charge ou qui ont été privées de leurs droits en zone d’attente, cependant qu’en rétention, le fondement juridique des mesures privatives de liberté s’est trouvé fragilisé par l’interruption du trafic aérien qui a rendu presque impossible l’exécution des mesures d’éloignement. Dans ces conditions, le placement en rétention est devenu une mesure injustifiée en pratique, juridiquement très discutable et dangereuse. Le CGLPL déplore qu’il n’ait pas été donné suite à ses demandes de fermeture provisoire des centres de rétention administrative.
Pour les centres éducatifs fermés, la crise, qui n’a pas eu de conséquence sanitaire, aura montré que la prise en charge des mineurs varie fortement d’un établissement à un autre, certains CEF ayant maintenu leur collectif quand d’autres se sont employés à permettre le retour des mineurs dans leurs familles. De façon commune, les stages et sorties ont été interrompus, ce qui a nui aux projets de réinsertion et de sortie des jeunes. Dans les centres qui l’ont mis en place, le placement séquentiel a montré son intérêt, tant dans le déroulement de la prise en charge que pour la préparation à la sortie. Il convient de développer cette forme d’accueil.
Enfin, pour tous les lieux contrôlés, le CGLPL souhaite que se poursuivent les bonnes pratiques qui, pendant la crise, ont résulté de la nécessité – notamment la réduction générale du nombre des personnes enfermées et la déconcentration des décisions. Il demande également que soient formalisés en toute circonstance des plans de prévention des crises de cette nature et de continuité des prises en charge.
Valériane DUJARDIN – LASCAUX
Juriste, EPSM Lille Métropole
[1] Journal officiel du 19 juin 2020.