Recommandations en urgence du CGLPL du 01/02/2022 relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens

Au JORF n°0050 du 1er mars 2022 ont été publiées les recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 1er février 2022 relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens.

Ces recommandations interviennent après une visite par six contrôleurs du 10 au 14 janvier 2022.

Le Contrôleur rappelle notamment que  » les soins sans consentement impliquent des restrictions à l’exercice des libertés individuelles qui doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental de la personne concernée. Ils ne peuvent être mis en œuvre que dans un certain cadre, pour des motifs définis par la loi, dans des délais contraints, et les décisions y-afférentes doivent pouvoir faire l’objet de recours. »

Le Contrôleur relève de nombreux dysfonctionnements portant atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes prises en soin.

Ci-dessous le texte publié au JORF

Valériane DUJARDIN – LASCAUX

Juriste, EPSM Lille Métropole


Recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 1er février 2022 relatives au centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens
L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) permet à cette autorité, lorsqu’elle constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de communiquer sans délai aux autorités compétentes ses observations, de leur impartir un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, de constater s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, le CGLPL rend immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues.
Les présentes recommandations ont été adressées au ministre des solidarités et de la santé et au garde des sceaux, ministre de la justice. Un délai de deux semaines leur a été imparti pour faire connaître leurs observations.
La visite du centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin (CSMJBP) à Lens (Pas-de-Calais), effectuée par six contrôleurs, du 10 au 14 janvier 2022, a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements graves portant atteinte à la dignité des patients et à leurs droits fondamentaux.
Ces dysfonctionnements sont graves et anciens ; certains sont dénoncés par la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) depuis des années (1). Les patients, y compris en soins libres, sont cloîtrés, souffrent de conditions d’hospitalisation médiocres, de placements à l’isolement indignes et évoquent leur insécurité. Leurs droits, aussi peu connus des patients que du personnel, sont d’autant plus rarement mis en œuvre que les juges ne se déplacent pas dans l’établissement et s’accommodent des absences répétées des patients à leurs audiences. Ces dysfonctionnements, qui concernent l’ensemble des unités de l’établissement, résultent d’une absence de pilotage global. Les intervenants reconnaissent leur désorganisation, les privations de liberté irrégulières, les mesures d’isolement et de contention sans décision médicale, notamment pour des patients en soins libres, et d’une façon plus générale, un insuffisant respect du droit.

1. Les droits fondamentaux des personnes font l’objet d’atteintes graves et généralisées

1.1. Même en soins libres, les patients ne peuvent aller et venir librement

Les patients sont enfermés la majeure partie de la journée et de la nuit alors que les locaux disposent d’un potentiel certain, avec des espaces extérieurs qu’il est possible d’ouvrir vers des terrains de sport voisins du site, avec une cafétéria et diverses salles d’activités. Pourtant, au premier jour du contrôle, cinquante-six patients sur soixante et onze étaient en hospitalisation libre. Cette situation antérieure à la pandémie de covid-19 était déjà dénoncée dans un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) en juin 2016 (2).
Les patients peuvent être confrontés à cinq niveaux de fermeture. L’enceinte du CSMJBP est close par de hautes grilles qui empêchent a priori toute circulation vers l’extérieur. Le bâtiment est la plupart du temps fermé, à l’exception des horaires d’ouverture de la cafétéria, de 13 h 30 à 16 h 30, pendant lesquels les patients peuvent accéder à un espace extérieur contigu au parking d’entrée, sans toutefois pouvoir franchir les grilles de l’enceinte. Les quatre unités accueillant les patients sont fermées jour et nuit, excepté l’après-midi, de 13 h 30 à 16 h 30. Au sein de chaque unité, des personnes peuvent être enfermées dans leur chambre sans décision ni contrôle médical, parfois même contre avis médical (3). Enfin, trois unités sur quatre disposent d’un espace fermable, isolant plusieurs chambres.
Les patients en soins libres doivent pouvoir circuler librement et les restrictions imposées aux patients hospitalisés sans leur consentement doivent être nécessaires et proportionnées aux besoins que requiert leur état de santé.

1.2. L’intégrité physique des patients et le respect de leur vie privée ne sont pas garantis

Les patients ne peuvent pas fermer à clé leur chambre ni leur espace sanitaire comprenant des toilettes, un lavabo et une douche. Ils n’ont pas d’intimité lorsqu’ils se lavent ou se rendent aux toilettes, n’ont aucune tranquillité, ni le jour ni la nuit, alors que certains sont hospitalisés depuis des semaines, des mois, voire des années. Plusieurs personnes hospitalisées, dont une jeune femme et un mineur, ont signalé ou déposé plainte pour des faits de harcèlement et d’agressions en chambre, en journée ou la nuit.
Les patients ne peuvent pas appeler à l’aide puisque, selon des professionnels, le dispositif d’appel en chambre a été volontairement désactivé dans l’ensemble des unités en raison d’un usage par les patients estimé excessif.
En raison de malfaçons, le chauffage est très inégalement réparti et les chambres situées aux extrémités du bâtiment sont particulièrement froides, de sorte qu’il faut distribuer plusieurs couvertures et qu’un patient a déclaré dormir avec un bonnet. L’eau chaude sanitaire est tout au plus tiède.
Les patients doivent avoir la possibilité de verrouiller leur chambre. Ils doivent disposer d’un dispositif d’appel à l’aide, d’eau chaude dans les sanitaires et d’un système de chauffage efficace.

1.3. L’accès aux soins est défaillant

Les patients pris en charge aux urgences du centre hospitalier font parfois l’objet de contention sur des brancards, au vu et au su de tous dans les couloirs, et d’orientations vers le CSMJBP en soins sans consentement, sans évaluation médicale psychiatrique, un soignant contactant parfois les médecins par téléphone alors qu’ils consultent au centre médico-psychologique pendant leur astreinte théorique aux urgences.
Au sein des unités, le projet de soins n’est pas défini, les patients n’y sont pas associés, ni les personnes de confiance, dont la désignation n’est pas toujours valide en raison du flou des procédures observées.
Aucune directive n’est mise en œuvre permettant l’anticipation des situations de crise. Lorsque des décisions médicales sont prises, elles ne sont pas nécessairement suivies d’effet. L’examen des dossiers médicaux montre que le consentement aux soins du patient n’est pas tracé.
L’examen des traitements pharmacologiques révèle la persistance de la prescription « si besoin », le patient conservant la possibilité d’en refuser la prise en cas d’angoisse ou d’insomnie, mais pas en cas d’agitation. L’administration d’un traitement peut donc être réalisée sans examen médical psychiatrique préalable et impliquer l’emploi de la force, comme cela a été le cas à plusieurs reprises en présence des contrôleurs, et sans que les médecins présents ne soient appelés ni même avisés.
Les patients doivent bénéficier d’une consultation psychiatrique présentielle aux urgences avant toute décision d’hospitalisation et de l’élaboration concertée de directives anticipées pour les situations de crise. Le recours à la force pour administrer des traitements doit être proscrit sauf en cas de risque immédiat ou imminent.

2. Adultes et mineurs font l’objet de mesures d’isolement et de contention arbitraires, mises en œuvre dans des conditions indignes

2.1. Les chambres d’isolement sont indignes

Le CSMJBP compte officiellement deux chambres d’isolement, situées chacune dans un secteur de l’étage, positionnées en bout de couloir, particulièrement mal chauffées, ne disposant d’aucune horloge permettant de se repérer dans le temps ni d’aucun dispositif d’appel accessible en situation de contention. Le patient enfermé ne peut pas voir l’extérieur au travers des vitres, opacifiées et sans ouverture possible ; son intimité et la confidentialité de ses soins ne sont pas respectées puisqu’il est exposé à la vue de tous par l’œilleton de la porte, ou des écrans des caméras de surveillance situés dans le poste infirmier et visibles depuis le couloir. Les contrôleurs ont également constaté une fois la présence dans le poste d’une patiente installée devant les écrans de contrôle.
Les patients soumis à ces pratiques maltraitantes sont exposés à la vue de tous les autres patients, mineurs inclus.
Aucune information spécifique n’est donnée au poste de commandement de sécurité du centre hospitalier s’agissant de l’isolement et de la contention des patients en chambre d’isolement ou hôtelière, de sorte que, en cas d’incendie, la sécurité de ces personnes serait compromise.
Les chambres d’isolement doivent assurer la confidentialité des soins, préserver l’intimité des patients, et garantir à ces derniers des conditions de prise en charge respectueuses de leur dignité. Elles doivent être chauffées, aérées, et disposer d’une vue vers l’extérieur. Un dispositif d’appel accessible aux patients attachés doit y être installé. Le service de sécurité incendie doit être systématiquement avisé de toute mise en isolement ou en contention.

2.2. L’isolement et la contention sont pratiqués majoritairement en dehors d’espaces spécifiques, sur des patients adultes comme mineurs fréquemment hospitalisés en soins libres, parfois en dépit de décisions médicales

L’isolement et la contention ne sont pas seulement pratiqués en chambre d’isolement mais indistinctement en chambre hôtelière, de sorte qu’il peut être considéré que le CSMJBP ne dispose pas de deux chambres d’isolement mais de quatre-vingts chambres d’isolement potentielles.
Les pratiques d’isolement et de contention sont considérées par l’ensemble des soignants comme des prescriptions et non des décisions médicales susceptibles de recours, en dépit des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique.
Aucune alternative à l’isolement n’est recherchée ou, en tout état de cause, tracée dans le dossier médical. Aucune politique générale d’alternative à ces pratiques n’est réellement mise en œuvre dans l’établissement. Le personnel ne bénéficie d’aucune formation spécifique en matière de droits fondamentaux et de recours à ce type de pratiques. Un professionnel rencontré lors de la visite résume la situation ainsi : « on nous a dit parfois que ça n’était pas légal, mais on ne nous dit pas quoi faire d’autre ».
Le registre d’isolement est imparfaitement tenu et l’obligation d’informer le juge des libertés et de la détention (JLD) des isolements et des contentions excédant la durée légalement fixée (4) n’est pas respectée.

2.2.1. Quels que soient le statut et l’âge

Alors que l’isolement et la contention ne peuvent être légalement mis en œuvre que dans le cadre de soins sans consentement et sous des conditions strictes, les contrôleurs ont constaté qu’au CSMJBP des personnes en soins libres subissaient des isolements de manière récurrente, sans modification de leur régime d’hospitalisation.
L’examen des registres papier d’isolement et de contention tenus dans chaque unité montre que les isolements se pratiquent dans toutes les chambres pour des durées dépassant très fréquemment les délais légaux et sans respect des procédures de renouvellement, avec parfois des contentions associées durant toute une journée et pouvant concerner des personnes en soins libres (5). Le registre informatique est mal renseigné, de sorte que le département de l’information médicale (DIM) n’a pu extraire aucune donnée fiable pour l’année 2021 (6). Les informations contenues dans le registre papier ne recoupent pas toujours celles du logiciel et les contrôleurs ont constaté des isolements pratiqués sans être tracés dans aucun registre.
Des situations de contention de patients non isolés, au mépris des dispositions légales (7) et de la sécurité des personnes, ont également été rapportées aux contrôleurs.
Les mineurs âgés de plus de quinze ans et trois mois sont hospitalisés en unité de psychiatrie adulte (8). L’examen des registres papier et informatisé montre qu’ils subissent également des mesures d’isolement et de contention de durées préoccupantes (9), bien que les données informatiques soient peu fiables (10). Leurs droits ne sont pas plus respectés que ceux des autres patients. Leurs représentants légaux ne sont pas davantage en mesure d’exercer leurs prérogatives (11).
Aucune réflexion n’est menée quant aux besoins particuliers des mineurs et aucun projet de création d’une unité spécifique n’a été énoncé.

2.2.2. En dehors ou en dépit de décisions médicales

Le placement en isolement ou sous contention peut résulter d’une décision médicale mise en œuvre en chambre d’isolement ou en chambre hospitalière et ne sera pas nécessairement réévalué par le médecin, pas même lorsqu’il fait lui-même état de la nécessité de cette réévaluation (12).
Fréquemment, le placement à l’isolement ou sous contention résulte d’une décision d’un membre du personnel soignant qui n’est pas toujours identifié ou de « l’équipe », sans décision médicale et sans contrôle médical a posteriori, pas même une validation dans l’heure. Les psychiatres ne se déplacent pas toujours pour examiner un patient isolé en journée, et encore moins la nuit pendant le temps de leur astreinte opérationnelle.
Les contrôleurs ont en outre observé au moins une situation où « l’équipe » soignante prenait la décision, parfois avec l’accord du cadre de santé, de contrevenir aux directives médicales. Ainsi, le 4 janvier 2022, un patient ayant bénéficié d’une levée médicale d’isolement à 17 h 30 a été de nouveau isolé à 18 h 30 sur décision de l’équipe, le registre informatisé étant renseigné par un soignant qui précisait que le patient souhaitait rencontrer le médecin. Il a été indiqué aux contrôleurs que « le médecin était déjà parti, il n’a pas été prévenu ». Le 7 janvier, l’isolement était levé par un médecin. Un second médecin indiquait le 11 janvier que le patient était calme. Les contrôleurs ont toutefois constaté que ce patient avait été isolé dans sa chambre la nuit du 12 au 13 janvier mais aussi les nuits précédentes, selon les dires des soignants, sans décision médicale ni renseignement du logiciel.
Les contrôleurs ont également pu constater qu’une personne avait été placée à l’isolement et sous contention un après-midi puis la nuit suivante, sans être vue par le médecin somaticien, dont l’intervention est pourtant obligatoire, notamment aux fins d’évaluation de la pertinence d’une prescription de prévention de complications thrombo-emboliques.
Les mesures d’isolement et de contention, pratiquées à grande échelle, sans respect des droits des patients et sans décision ni réévaluation médicale, doivent cesser immédiatement.

2.3. Aucune mesure n’est prise malgré les alertes répétées de la CDSP et les dysfonctionnements sont validés par l’institution

Malgré les recommandations adressées depuis des années par la CDSP, aucune décision n’est prise pour remédier à la situation.
Dans le dernier compte rendu du 1er juin 2021, les membres de la commission se disent « scandalisés de voir que des patients en soins libres étaient placés en chambre d’isolement dès leur arrivée dans le service au prétexte qu’ils étaient agités. […] De plus, des patients sont placés en isolement, et même parfois en contention dans des chambres non dédiées. Cette pratique n’est pas admissible. […] Les dysfonctionnements relevés ne font l’objet d’aucune recherche d’amélioration des pratiques ».
Or, non contente de ne prendre aucune mesure pour remédier aux dysfonctionnements multiples ainsi dénoncés, la direction les banalise et semble même les valider, puisque les documents remis aux contrôleurs et supposés clarifier les pratiques sont en parfaite contradiction avec diverses dispositions législatives et réglementaires. Le premier concerne un protocole individuel qui prévoit notamment la possibilité d’une contention de 24 heures. Le second intitulé « mise en chambre d’isolement thérapeutique », signé des deux chefs de secteur en 2018 et actualisé en 2020, comprend des informations illégales, ne mentionne pas l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique tel que l’avait créé la loi du 26 janvier 2016 (13), et n’a par ailleurs aucunement été modifié depuis celle du 14 décembre 2020 (14). Le document émis par la direction des affaires juridiques du centre hospitalier concernant la réforme de l’isolement et de la contention, présenté le 8 mars 2021 aux cadres de santé et médecins, n’a induit aucune modification des pratiques.
Enfin, alors que certains assurent avoir réfléchi à la mise en place de chambres d’apaisement (ce que les locaux permettent puisque des chambres sont disponibles), aucun projet n’en fait état.
Le recours aux pratiques d’isolement et de contention doit être réduit et les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique mises en œuvre sans délai ; à cette fin une réflexion doit rapidement être engagé et l’ensemble du personnel doit recevoir une formation spécifique sur le régime juridique de ces pratiques et les droits fondamentaux des personnes hospitalisées en soins libres ou sans consentement.

3. Les personnes placées en soins sans consentement ne connaissent pas leurs droits, ne sont pas encouragées à les faire valoir et les décisions de justice ne sont pas nécessairement respectées

Les soins sans consentement impliquent des restrictions à l’exercice des libertés individuelles qui doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à l’état mental de la personne concernée. Ils ne peuvent être mis en œuvre que dans un certain cadre, pour des motifs définis par la loi, dans des délais contraints, et les décisions y-afférentes doivent pouvoir faire l’objet de recours. Or, au CSMJBP comme l’indiquent un professionnel et certains partenaires extérieurs, « c’est l’improvisation à chaque fois ».

3.1. Les patients en soins sans consentement ne reçoivent aucune information

Aucun livret d’accueil expliquant le fonctionnement des lieux n’est remis aux patients. Deux feuillets intitulés « règles de vie spécifiques du centre de santé mentale JB Pussin Lens en complément du livret d’accueil du CHL » sont affichés dans trois des quatre unités. Ce document, outre qu’il fait référence à un livret d’accueil qui n’est jamais remis, ne comprend aucune information à destination des personnes hospitalisées sans leur consentement. Ces dernières ne reçoivent aucun document énonçant leurs droits et les coordonnées des autorités susceptibles d’être saisies pour les faire valoir (15). Les décisions du directeur ou les arrêtés préfectoraux ne sont pas remis aux patients, qui ne reçoivent pas non plus systématiquement copie de celles du juge des libertés et de la détention (JLD).
La possibilité pour les patients d’opter pour la confidentialité de leur hospitalisation vis-à-vis de tiers n’est comprise ni des soignants ni du personnel administratif, de sorte que l’information y afférente n’est pas donnée utilement aux patients. La notion de « personne de confiance » n’est pas dissociée de celle de « personne à prévenir » et le patient ne peut être accompagné par un tiers ni pour ses choix médicaux ni pour les recours à intenter.
Chaque patient doit recevoir un livret d’accueil ou un règlement intérieur contenant des informations relatives au fonctionnement du lieu et aux règles de vie. Les patients en soins sans consentement doivent bénéficier d’informations relatives à leur statut ainsi qu’aux moyens de formuler des requêtes auprès de l’établissement et des autorités hiérarchiques, judiciaires, de tutelle ou de contrôle. Ces informations doivent leur être communiquées sur un support qu’ils peuvent conserver.

3.2. Le cadre juridique des soins sans consentement n’est pas respecté

Les dispositions légales régissant les soins sans consentement sont largement méconnues de l’ensemble des professionnels. Malgré les alertes régulièrement adressées par la CDSP (16), aucun changement n’est intervenu.
Les certificats médicaux des 24 et 72 heures sont parfois insuffisamment circonstanciés et ne reprennent pas toujours les observations du patient. Les certificats rédigés en vue de la prolongation mensuelle sont émis tardivement de sorte que la décision du directeur n’intervient pas dans les délais requis, et peut être prise avec plusieurs jours de retard, si elle n’est pas antidatée pour couvrir les défaillances organisationnelles (17). L’échéance légale de la convocation du patient devant le JLD dans le délai de six mois (18) est fréquemment ignorée.
La possibilité de saisir le JLD en dehors des échéances des douze jours et des six mois n’est, dans le contexte précédemment décrit, aucunement expliquée aux patients.
Le registre de la loi, supposé permettre d’appréhender la situation juridique des patients, est mal renseigné. Les mesures de protection ne sont pas indiquées et les copies des décisions de mise sous tutelle, curatelle ou sauvegarde n’y sont pas jointes. Aucune date ni heure de notification n’y est mentionnée ; les contrôleurs ont constaté l’existence de documents de notification comprenant la signature du patient mais ne mentionnant ni la date et l’heure de la notification, ni la qualité de la personne y ayant procédé. Les décisions du directeur n’y sont pas répertoriées.
Il doit être mis fin à des pratiques conduisant à des hospitalisations arbitraires : les décisions d’admission en soins sans consentement et les certificats médicaux qui les fondent doivent être pris dans les délais légaux et dûment motivés. Le registre de la loi doit être correctement renseigné.

3.3. Le contrôle du JLD est ineffectif

Lorsque les échéances devant le JLD sont respectées, encore faut-il que le patient accède à son juge, que celui-ci dispose des documents indispensables et suffisamment circonstanciés pour rendre justice et que la décision rendue soit appliquée. Ces conditions ne sont pas remplies au CSMJBP.

3.3.1. L’accès au juge

Avant même d’avoir reçu l’avis d’audience devant le JLD, le patient reçoit un document indiquant qu’il lui est possible de le « rencontrer » et lui proposant, sans plus de précision, d’y renoncer. Ainsi rédigé, ce document est non seulement erroné dans ses termes – il ne s’agit pas de rencontrer un juge mais de comparaître à une audience – mais constitue une entrave au contrôle du juge puisqu’il ne peut avoir pour effet que de dissuader les patients de déférer à une convocation dont, la plupart du temps, ils ignorent le motif et le sens.
Les contrôleurs ont par ailleurs constaté l’existence de certificats médicaux attestant de l’incompatibilité de l’état de certains patients avec une comparution devant le JLD, en raison d’un risque de fugue. Un tel motif ne saurait être regardé comme un motif médical (19). Selon les informations transmises par le tribunal judiciaire (TJ) de Béthune, pour les six derniers mois de l’année 2021, pour les quatre établissements de santé mentale du ressort de la juridiction, le taux de présentation des patients devant le JLD est de 37 %. Malgré ce taux particulièrement faible, aucune analyse particulière des certificats médicaux d’incompatibilité ne semble être réalisée.
L’effectivité de l’accès au JLD des patients en soins sans consentement doit être garantie. Aucun document de l’hôpital ne doit risquer de les dissuader de se rendre à une audience dont l’objet est de protéger leurs droits. Seul un motif médical peut justifier qu’un patient ne se rende pas à l’audience qui le concerne.

3.3.2. La publicité de l’audience et le respect du contradictoire

En application d’une convention signée le 8 novembre 2018 (20), les audiences du JLD se tiennent, non pas au CSMJBP mais à l’établissement public de santé mentale (EPSM) Val-de-Lys Artois à Saint-Venant. Pourtant, en vertu d’une organisation complexe mise en œuvre depuis, si aucun patient de l’EPSM de Saint-Venant n’est convoqué à l’audience, le JLD la tient au TJ de Béthune. Cette situation n’est pas rare puisque, selon les statistiques remises par la juridiction, en 2021, 40 % des audiences environ se sont tenues au TJ de Béthune. En pratique, le lieu d’audience est fixé le matin même à 9 heures, le greffe du JLD informant les établissements et la permanence des avocats par téléphone. Les curateurs et tuteurs sont prévenus par téléphone si leurs coordonnées sont connues. Quant aux familles et proches, ils risquent de se présenter au mauvais endroit. Cette organisation, contraire aux termes du code de la santé publique (21), ne garantit ni la publicité des débats, ni l’accès des proches à l’audience, ni les droits de la défense et l’information du patient, qui est supposé pouvoir préparer l’audience.
Enfin, du fait de la totale désorganisation de la gestion des dossiers administratifs au sein du CSMJBP, le JLD ne dispose pas toujours d’un dossier complet le jour de l’audience. Il accepte alors la production de pièces en cours de délibéré, soit le jour même de l’audience, jusqu’à 15 heures.
Le juge des libertés et de la détention doit statuer dans une salle spécialement aménagée sur l’emprise de l’établissement d’accueil, dans des conditions assurant la publicité des débats et l’accès de tous à l’audience, et dans le respect du principe du contradictoire.

3.3.3. Les effets des décisions de justice

L’éloignement géographique du juge, l’absence fréquente des patients, la tenue approximative des dossiers sont autant d’éléments qui entraînent un désintérêt préoccupant pour les décisions rendues, au point que les contrôleurs ont pu constater qu’une décision de mainlevée de la cour d’appel était restée inexécutée.
En effet, la cour d’appel (CA) de Douai, pourtant rarement saisie, rencontre les mêmes difficultés que le JLD pour obtenir un dossier complet. Elle en fait état dans une décision du 19 juillet 2021 (22) et en tire les conséquences en ordonnant la mainlevée de l’hospitalisation sans consentement, avec effet différé à 24 heures afin de laisser à l’établissement la possibilité d’organiser avec le patient un programme de soins.
L’examen du dossier administratif du patient concerné démontre cependant que cette décision n’a pas été exécutée et que le patient a été maintenu en soins sans consentement, bien que la décision semble lui avoir été notifiée (23). Le registre de la loi comporte la copie d’un certificat médical « de levée de mesure » indiquant le 19 juillet 2021 à 17 heures que « la CA a levé la mesure de soins sous contrainte », et la mention manuscrite suivante : « mainlevée le 20 juillet suite décision de la CA du 19 juillet 2021 ». Figure pourtant dans le même registre la copie d’un certificat médical du même médecin, daté du 29 juillet 2021, à 18 heures, et indiquant : « maintien des soins psychiatriques pour la durée d’un mois ». Le registre ne porte aucune trace d’un certificat susceptible de justifier une nouvelle mesure d’hospitalisation. Il faut enfin préciser que le certificat n’est aucunement circonstancié (24). En tout état de cause, le patient n’a quitté les soins sous contrainte que le 11 août 2021, soit 23 jours après la décision de la cour d’appel.
Le non-respect d’une décision de mainlevée est susceptible d’entraîner un enfermement arbitraire. Les décisions de justice ordonnant la levée d’une mesure d’hospitalisation complète sous le régime des soins sans consentement doivent être exécutées et, le cas échéant, les registres correctement renseignés sur les mesures ultérieures mises en place afin d’en permettre le contrôle.

4. Conclusion

Le centre de santé mentale Jean-Baptiste-Pussin à Lens doit faire l’objet de mesures urgentes afin de garantir aux patients hospitalisés le respect de leurs droits fondamentaux et de leur liberté d’aller et venir ainsi que l’accès aux soins psychiatriques et somatiques en lien avec des projets de soins individualisés. Son fonctionnement doit être réorganisé afin de garantir aux patients, hospitalisés en soins libres ou sans consentement, le respect de leur dignité, de leur intégrité et de l’ensemble de leurs droits fondamentaux.
Les dysfonctionnements observés étant d’une particulière gravité et anciens, aggravés encore par le manque de formation du personnel, le plan de transformation de cet établissement doit être étroitement accompagné par les autorités de tutelle. Les ministres destinataires des présentes recommandations sont invités à élaborer un plan d’action détaillé et public organisant conjointement la transition vers des pratiques respectueuses de la dignité et du statut des patients.

(1) Comptes rendus du 20 mars et 14 novembre 2019, du 14 février et 8 décembre 2020 et du 1er juin 2021.
(2) « L’organisation de la prise en charge en psychiatrie ne permet pas le respect de la liberté d’aller et venir. », p. 22, rapport de certification centre hospitalier de Lens, juin 2016.
(3) Voir infra § 2.2.2.
(4) Cette obligation s’imposait entre le 16 décembre 2020 et le 31 décembre 2021, date d’effet de la décision du Conseil constitutionnel du 4 juin 2021 pour les mesures d’isolement excédant 48 heures et pour les mesures de contention excédant 12 heures.
(5) L’examen du registre papier d’une unité pour la période 2019-2021 a révélé que 36 % des personnes placées en isolement étaient en soins libres.
(6) Pour 2020, le DIM recense 295 mesures d’isolements et 103 de contentions. Il a été repéré une personne placée sous contention durant 110 heures.
(7) Article L. 3222-5-1-II du code de la santé publique.
(8) Ils étaient quatre à l’arrivée des contrôleurs le 10 janvier 2022, ont été trente et un en 2021, vingt et un en 2020.
(9) Pour exemple, une mineure isolée durant cinq heures de nuit sans validation médicale, le médecin ayant seulement été averti ; 115 jours de contention pour un mineur de 17 ans en 2018 ; vingt heures d’isolement et de contention pour un mineur de 17 ans en mai 2019 ; dix-huit heures d’isolement et de contention pour une mineure de 15 ans en décembre 2019 ; soixante-deux heures d’isolement et de contention pour un mineur de 15 ans du 30 novembre au 2 décembre 2021.
(10) Le DIM ne dispose d’aucune donnée informatique pour les mineurs à compter de 2019 alors qu’il a été constaté que des mineurs avaient été accueillis et que quatre étaient présents à l’arrivée des contrôleurs. Pour 2019, les données à dispositions indiquent qu’ont été pratiquées pour trois patients mineurs quatre mesures d’isolement d’une durée totale de 50 heures 45 minutes avec une durée maximale de 18 heures 45 minutes et minimale de 6 heures 45 minutes.
(11) Les dossiers ne contiennent pas de demande d’admission formalisée permettant de s’assurer que les représentants légaux ont clairement formalisé leur accord pour une hospitalisation du mineur en psychiatrie ; aucun document ne formalise l’avis du mineur ; aucun document ne clarifie le positionnement des représentants légaux sur les actes de la vie quotidienne (sorties, tabac…) alors qu’ils conservent l’exercice de l’autorité parentale.
(12) Pour exemple, le logiciel Millenium indique le 5 janvier 2022 une validation par un médecin d’un isolement pour une journée « à évaluer », ce médecin ne revient pas le 6 janvier et un autre médecin lève l’isolement le 7 janvier lors d’une transmission.
(13) Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.
(14) Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.
(15) Le JLD, le CGLPL, les avocats, la commission des usagers, la CDSP.
(16) Pour exemple, la CDSP indique dans son compte rendu du 1er juin 2021 qu’il existe des écarts entre les certificats médicaux de prolongation d’un mois pouvant aller de 34 à 36 jours ; elle rappelle en outre la nécessité que les certificats soient circonstanciés.
(17) Pour exemple, au départ des contrôleurs le 14 janvier 2022, une patiente attendait depuis sept jours la prolongation de son hospitalisation en soins sans consentement, échue le 7 janvier 2022. Le dernier certificat médical en vue d’une prolongation d’un mois datait du 7 janvier à 18 h 02, ce qui rendait impossible la tâche du directeur ou de son délégataire, sans toutefois justifier que sept jours plus tard, le patient soit toujours sans explication ni titre légal d’hospitalisation.
(18) Pour exemple, à deux reprises, l’échéance des six mois a été oubliée pour la même patiente qui est ainsi restée abusivement placée en soins sans consentement une première fois deux mois, une seconde fois un mois et quinze jours avant que la décision soit prise de régulariser précipitamment la procédure en faisant signer à un membre de la famille une nouvelle hospitalisation à la demande d’un tiers, omettant alors sur le registre d’indiquer l’existence d’une mesure de protection de type curatelle. Le curateur, qui n’apparaît pas sur la décision du JLD, semble n’avoir pas été convoqué.
(19) « Devant le risque important de fugue, la patiente ne pourra se présenter devant le JLD », contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation (chambre civile 1, 17 mars 2021, 19-23.567).
(20) Convention du 8 novembre 2018 organisant le contrôle judiciaire des mesures de soins psychiatriques entre le TJ de Béthune, l’ARS des Hauts-de-France, l’EPSM Val de Lys Artois situé à Saint Venant, les centres hospitaliers de Hénin-Beaumont et de Lens, et le centre de psychothérapie Les Marronniers de Bully-les-Mines : « l’EPSM met à disposition une salle aménagée affectée à la tenue des audiences du JLD » ; « en cas de force majeure rendant impossible l’utilisation de la salle d’audience […] les audiences […] se dérouleront au siège du tribunal de grande instance ».
(21) Article L. 3211-12-2 du code de la santé publique.
(22) Cour d’appel de Douai, soins psychiatriques, 19 juillet 2021, n° 21/00066 : « le Centre de santé mentale JB PUSSIN n’a pas fait parvenir à la cour le nouvel avis médical, établi dans les 48 heures précédant l’audience d’appel, qu’il lui appartenait de produire en application de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Cet avis a pourtant été sollicité par le greffe de la cour en même temps que la convocation à l’audience puis à plusieurs reprises avant et pendant l’audience. Le magistrat signataire l’a également réclamé, en vain, dans le cours de son délibéré. En l’absence d’un avis médical circonstancié permettant au juge d’appel de s’assurer qu’au jour où il statue, la mesure de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d’une hospitalisation complète demeure le seul cadre approprié à la situation actuelle de santé de M. B A, le maintien de telle mesure de contrainte causerait à la personne hospitalisée un grief qui ne peut être évité que par une décision de mainlevée. »
(23) La feuille de notification de la décision du premier président comprend le paraphe du patient mais ni l’heure, ni la date, ni la qualité de la personne assurant la notification.
(24) Il relate les propos du patient qui indique tantôt que l’hospitalisation est « un plus », tantôt qu’elle « ne sert à rien » puis assure sans description de l’état mental que « du fait de la complexité de ce tableau clinique, l’hospitalisation est maintenue au moins jusqu’à un temps de concertation de son foyer de vie ».